La littérature fantastique

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QUE SAIS-JE ? La littérature fantastique par JEAN-LUC STEINMETZ Professeur à l'Université de Nantes Cinquième édition, PUF, 1990

I. Étymologies 1. Le langage est souvent peuplé de mots dont le locuteur perçoit le sens approché, sans toutefois parvenir à le bien définir, dans la mesure où le référent se révèle d'une estimation fuyante. D'ores et déjà – et comme le fit Freud dès 1919 –, il conviendrait de distinguer le fantastique tel que nous le ressentons dans la vie de celui qui s'est constitué en œuvres, en fictions. Mais peut-on désormais séparer les deux sens ? La littérature, à partir d'une certaine époque, n'a-t-elle pas marqué d'une ineffaçable empreinte toute perception existentielle ainsi dénommée ? Plutôt que de se référer ici à des expériences vitales ou à des exemples littéraires, on interrogera d'abord le mot et son usage. Il remonte vraisemblablement, via un adjectif latin, fantasticum, au verbe grec phantasein : « faire voir en apparence », « donner l'illusion », mais aussi « se montrer », « apparaître », lorsqu'il s'agit de phénomènes extraordinaires. La phantasia est une apparition, tout comme le phantasma, qui désigne aussi un spectre, un fantôme (on trouve ce dernier emploi dans Eschyle et Euripide). L'adjectif phantastikon (« qui concerne l'imagination ») a pu donner lieu au substantif phantastiké (sous-entendu : techné) : « la faculté d'imaginer des choses vaines » (Aristote). L'adjectif « fantastique » est utilisé au Moyen Âge. L'un de ses plus vieux emplois, signalé par le Godefroy, donne le sens de « possédé » : « Duquel [couteau] il se tua de ses propres mains par grand courroux et ire et comme fantastique et démoniacle. » La proximité du mot « démoniacle » est ici remarquable. Un autre adjectif, fantasieus, signifie « insensé, trompeur ». Fantaisie, dans le français classique, désigne jusqu'au XIXe siècle l'imagination ; et c'est encore ainsi qu'il faut entendre le titre d'un célèbre poème de Nerval : « Il est un air pour qui je donnerais... » Le Dictionnaire de l'Académie de 1831 donne à fantastique le sens de « chimérique » et ajoute : « Il signifie aussi, qui n'a que l'apparence d'un être corporel, sans réalité. » L'acception qui nous intéresse apparaît dans le Littré (1863) qui, tout en continuant d'indiquer : « 1/ qui n'existe que par l'imagination ; 2/ qui n'a que l'apparence d'un être corporel », précise, dans cette seconde entrée : « Contes fantastiques : se dit en général des contes de fées, des contes de revenants et, en particulier, d'un genre de contes mis en vogue par l'Allemand Hoffmann, où le surnaturel joue un grand rôle » – définition que reprendra le Dictionnaire de l'Académie de 1878 et que l'on trouve encore dans le Trésor de la langue française (t. VIII, 1980). C'est aussi vers cette époque (première moitié du XIXe siècle) que le mot apparaît comme substantif pour nommer une certaine catégorie d'expression littéraire, c'est-à-dire un genre (même si aucune théorie des genres n'inclut le fantastique).

Tout ce matériel lexicologique traduit un phénomène complexe. Il semble bien qu'il enregistre d'abord une façon d'être qui a trait à l'imagination et plutôt à l'excès de cette faculté. Le fantastique s'oppose à la logique. En ce sens, et eu égard à la raison, il peut être mis au compte des chimères, des illusions, voire de la folie. L'étymologie du mot attire l'attention sur un phénomène visuel, une illusion d'optique. Dans le fantastique quelque chose apparaît. Fantôme, fantasme impliquent la même infraction du réel, avec l'idée nettement affichée que tout cela pourrait ne résulter que d'une imagination déréglée, d'un esprit perturbé.

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